J’ai soutenu en décembre 2020 une thèse portant sur la dimension pratique du matérialisme d’Épicure, prenant appui sur les textes connus du philosophe (ses trois Lettres, à Hérodote, à Pythoclès et à Ménécée, ses Maximes et Sentences, toutes conservées par Diogène Laërce), et sur les fragments du livre XXV de son opus magnum, le traité De la nature en 37 livres, dont il nous reste des fragments en partie carbonisés conservés à Herculanum après l’éruption du Vésuve. Ma démarche vise à montrer qu’on peut analyser la théorie du philosophe sur la base de ses seuls écrits, sans recourir au témoignage de son disciple romain Lucrèce ni des adversaires de l’épicurisme, Cicéron, Sénèque, Plutarque pour les plus connus. Il en résulte un certain nombre de prises de position qui vont à l’encontre des thèses le plus fréquemment défendues : je conteste par exemple la fidélité absolue de Lucrèce à Épicure, l’attribution à Épicure de la théorie du clinamen, ou déclinaison des atomes ; je soutiens la nécessité de distinguer, avec Épicure, la notion d’indestructibilité de celle d’immortalité, et celle de félicité (makariotès) de celle de bonheur (eudaimonia), notions sur lesquelles les épicuriens suivent rarement l’exigence de rigueur terminologique du « Maître » dont ils se réclament ; je m’interroge sur le fait que le philosophe ne présente pas le plaisir comme « fin », mais comme « la fin de la vie bienheureuse », renversant ainsi les termes d’une problématique selon laquelle la vie bienheureuse serait la fin, le plaisir n’en étant que le moyen ; enfin, je place la question politique de l’amitié au centre des préoccupations du philosophe, qui y voit non pas un repli frileux sur des valeurs partagées entre happy few, mais le fondement de la vie sociale à l’échelle de l’humanité entière : cette amitié, enjeu d’un combat permanent, qui nous rend collectivement indestructibles, comme est indestructible le tout de la nature, est selon moi la clé de voûte de la dimension pratique du matérialisme d’ Épicure.
J’aimerais que ces prises de position atypiques, loin de se vouloir provocatrices, réveillent des débats latents, dont la question du clinamen, ou déclinaison des atomes, me semble la plus révélatrice : on lit souvent beaucoup de gêne dans la façon dont les spécialistes reconnaissent qu’on ne trouve nulle part cette théorie chez Épicure, tout en soutenant qu’il faut cependant bien la deviner, d’une façon ou d’une autre, entre les lignes. L’enjeu est en effet de taille : faut-il supposer chez Épicure le même déterminisme que celui qu’on attribue à l’atomiste Démocrite, du fait qu’une chute en droite ligne des atomes, sans déclinaison, exclurait toute liberté de mouvement ?
Je me propose donc d’aborder succinctement dans ces billets, une par une, les principales de ces prises de position problématiques en espérant pouvoir lire les réactions, quelles qu’elles soient, de mes éventuels lecteurs. Je commencerai par la théorie du clinamen.
Afin de ne pas surcharger ces billets, je ne fournis pas de référence bibliographique, mais renvoie le lecteur désireux d’en savoir plus sur mes arguments à la bibliograhie de ma thèse, publiée sur le site Hal.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Claude Gontran (23 juin 2023). Présentation du carnet. Débats épicuriens. Consulté le 6 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/og3y